12 avril 2009

« Je n’ai pas vu les signes »

Ils étaient près d’une centaine à rendre un dernier hommage à Jacques Jean hier à l’église du quartier. Parmi les proches, la consternation règne toujours. Personne ne s’explique ce qui a poussé le trentenaire à s’enlever la vie après avoir empoisonné ses deux chats. Le drame aurait-il pu être évité? De tous ces gens, une seule et même réponse: « Si seulement j’avais su… Mais je n’ai pas vu les signes ».

Julie Sansoucis


Décrit comme un homme doux, jovial et attachant, rien ne laissait présager que Jacques Jean pourrait un jour porter un geste aussi extrême. C’est du moins ce que pense son voisin Raymond : « C’était un homme tellement sensible. Lorsqu’il sortait les poubelles, il s’asseyait souvent sur le bord de la chaîne de trottoir pour pleurer un instant », dit-il. « On avait l’habitude de le voir comme ça. Surtout depuis que sa femme l’a quitté pour son meilleur ami il y a environ trois mois. Il n’y avait rien d’anormal dans son comportement ces derniers temps. »

Le jeune cadre était très en vue dans le milieu des affaires montréalais avant d’être victime d’un grave burn-out en 2006. Depuis, il était sans-emploi et occupait son temps à entretenir son terrain. « Il adorait la nature », raconte sa voisine Arielle. « Il tondait son gazon plusieurs fois par semaine. Des fois, il pouvait regarder sa haie pendant une heure sans bouger. Ou encore, il se couchait en petite boule sous le grand bouleau et restait là tout l’après-midi. C’était beau de voir ça. » Arielle se rappelle avec nostalgie un moment précieux partagé avec Jacques Jean l’été dernier. « Mon mari et moi on l’a invité à venir prendre une limonade sur notre nouvelle terrasse. C’était quelque temps après que sa femme ait fait sa fausse-couche je crois », dit-elle. « Un oiseau est venu se poser devant lui. Il l’a regardé et s’est mis à pleurer. C’était touchant. Quelques jours plus tard, il a acheté ses deux chats, Hara et Kiri. Il les aimait énormément. »

Des signes pas clairs

Dans l’entourage de Jacques Jean, on se pause encore la question : l’irréparable aurait-il pu être évité? Gérard, un ami de longue date, se prononce : « Je sais pas. Je le voyais moins souvent ces derniers temps. Avant, Jacques me faisait rire, on avait du fun ensemble. Mais dernièrement, il était devenu lourd. Il me déprimait tellement que j’ai décidé de prendre mes distances. ». Gérard raconte que son ami, autrefois si « allumé », était devenu incohérent. « J’avais de la misère à le suivre. Par exemple, il disait qu’il n’avait plus d’argent pour sortir, mais il me parlait toujours du grand voyage qu’il voulait faire. Je me demande ben où il voulait aller. On va pas ben loin quand on a plus une cenne. »

Ce qui a perdu Jacques Jean c’est sans doute son incapacité à envoyer des signes clairs à son entourage. C’est du moins ce qu’estime Huguette, intervenante au service psychosocial du CLSC où Jacques Jean s’est rendu il y a trois semaines. « Il voulait entreprendre une psychothérapie alors on l’a mis sur notre liste d’attente. Je lui ai bien expliqué que nous avions beaucoup de cas lourds à nous occuper avant lui et qu’on ne pouvait pas le rencontrer avant un an et demi. Il est parti sans rien dire ». Huguette rejette toute responsabilité du CLSC dans la mort de Jacques Jean. « Comment on pouvait deviner qu’il était en détresse? Il n’a pas pleuré, il n’a pas crié ni fait de crise. Il n’a pas dit qu’il voulait mourir. On est des psychologues, pas des clairvoyants! Il faut que le monde s’aide un peu s’ils veulent se faire aider. »

À la mémoire de Jacques Jean.